COMMENT L'ÉCO-RESPONSABILITÉ STIMULE NOTRE CRÉATIVITÉ
Mai 2020
Souvent, l’éco-conception est considérée comme laissant peu de place à la créativité. Comme si ce choix spécifique de matériel allait être plus restreignant. On a peur que ça ait l’air broche à foin parce que l’on a utilisé ce qui trainait au fond de l’atelier. Ou on a peur de ne pas pouvoir faire ce qu’on veut, car l’on ne trouve pas les matériaux désirés ou que les matériaux écologiques sont trop chers. Mais il suffit de faire quelques pas dans les coulisses du théâtre éco-responsable pour se rendre compte que la réalité est tout autre.
L’éco-conception est un monde de connexions, d’entraide et de solutions. Selon moi, cela ouvre la porte à une créativité beaucoup plus belle et riche.
Mon expérience personnelle d’éco-couture
Pendant le confinement, je me suis occupée d’un tas de vêtements qui n’attendaient que d’être sauvés. Certains étaient pleins de trous (dû à mes merveilleuses petites rattes qui grugent tout ce qu’elles trouvent) et d’autres étaient tout simplement trop petits (dû au fait qu’on n’a pas 18 ans toute sa vie et que nous, les femmes, on prend de la bedaine!). Pour la plupart, il s’agissait de mes vêtements préférés et je me refusais à les jeter ou les donner sachant qu’ils risquaient fortement de finir au dépotoir. De plus, pour rester fidèle à tout ce que j’ai lu sur la mode éco-responsable, je ne voulais pas les laisser trainer au fond de mon placard, car un des problèmes majeurs du fast fashion est qu’on ne porte en moyenne que 6 à 38% de nos vêtements régulièrement (1). Je me suis donc fixée comme objectif de leur donner une seconde vie en n’utilisant que du matériel recyclé (la meilleure façon de recycler ses vêtements est de les réparer ou de réutiliser le tissu tel quel) (2). De toute façon, tous les magasins de couture étaient fermés pendant le confinement, donc on devait se débrouiller. J’avais un vieux jeans noir importable, je peux dire que je l’ai rentabilisé au maximum. Il n’en reste presque plus rien!
Pour mes vestes trouées, j’ai fait différents tests et trouvé différentes solutions. Pour la première, un simple patchwork dans le dos. Pour une autre, le remplacement de la manche et du col dans une couleur totalement différente pour un rendu asymétrique et contrasté. Pour une troisième, je me suis acheté un nouveau pied à broder et j’ai cousu des fleurs avec des retailles de tissus sur tous les trous.
Pour mes shorts et mes jupes, je me suis rendu compte que la plupart avaient des pinces à la taille. J’ai donc décousu et coupé la bande de la taille pour libérer les pinces et ainsi rajouter quelques centimètres de largeur. J’ai ensuite allongé la bande de la taille avec des carrés de tissus divers. La modification se voit, mais je me dis que tout le monde s’en fout du petit carré noir sur le dos de la taille de mon short et j’assume totalement le fait d’avoir modifié mes vêtements! Sinon, pour la plupart de mes jupes, j’ai seulement ajouté une bande sur l’un des côtés et j’aime bien ce petit coté asymétrique.
J'ai aussi fait un top avec un vieux pantalon et le biai d'un foulard.
Ces vêtements que j’aimais bien, sont maintenant mes petits bébés. Je suis tellement contente d’avoir pu les sauver que je vais les porter plus souvent avec joie. Je leur ai donné tellement de temps et d’amour que je les porterai fièrement et avec une attention particulière.
La réparation de mes vêtements m’a permis de pratiquer ma créativité d’une toute nouvelle manière. Les idées se formaient pendant que je fouillais dans mes affaires et que j’essayais de trouver des solutions. Je n’aurais jamais pensé et fait toutes ces choses si je n’avais pas été motivée à réparer mes vêtements par souci écologique et contrainte par l’inaccessibilité du matériel.
Je pense sincèrement qu’il faut démystifier l’idée du Designer-dieu qui crée sans limite. C’est la définition du succès et le but ultime à atteindre que nous vend notre système actuel. Mais ce n’est pas viable. La créativité flexible et adaptable est un mode de création beaucoup plus organique qui s’apparente plus à la nature et, surtout, qui la respecte beaucoup plus.
J’ai conscience qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire. Il faut non seulement changer le système, mais aussi les mentalités.
Il faut supprimer l’idée que l’éco-conception à l’air cheap. En décor, il suffit de regarder le travail de Marie-Renée Bourget Harvey (3), par exemple, qui crée des décors monumentaux laissant malgré tout une très petite empreinte écologique, car elle utilise très peu de matériaux neufs et surtout, elle s’arrange pour que son décor ait une seconde vie. En costume, l’idée n’est pas de faire des costumes en patchwork avec des retailles, mais plutôt de s’adapter aux matériaux que l’on trouve et de les transformer pour qu’ils soient méconnaissables. Qui pourrait se douter qu’un voile est fait avec de la doublure de rideaux trouvés à Renaissance? Qui pourrait savoir que la chemise n’est pas de la couleur qui était prévue au début? Et surtout, quelle importance? Oui, dans certain cas ce genre de détail est important. Mais généralement l’ambiance globale d’une pièce de théâtre n’est pas définie par la couleur spécifique d’un pantalon.
Il faut supprimer l’idée que la conception éco-responsable est contraignante. La contrainte de l’argent a toujours été présente et pourtant, elle va de soi et ne choque personne. Pourquoi la contrainte écologique ne pourrait pas être aussi importante, même plus, que la contrainte économique?
Le message que je veux faire passer ici, c’est que l’éco-responsabilité est une nouvelle source de créativité et qu’il faut la célébrer plutôt que d’en avoir peur. Arrêter de tout vouloir contrôler et apprécier ce qui vient à nous naturellement en s’y adaptant. Adopter un nouveau type de création où ce que l’on présente au metteur en scène est un concept large, une ambiance. Et ce n’est pas le travail du concepteur seulement. Toute l’équipe doit changer, que ce soit du metteur en scène à l’équipe de production. Je sais que c’est un changement radical de fonctionnement, mais pour sortir de cette crise écologique, il faut faire changer les choses et l’Art me semble être le meilleur medium où commencer.
Pour moi, ce qu’il y a de plus beau, c’est la nature. Je pense que l’une des choses qui fait de nous des humains, c’est la capacité de s’émouvoir devant un paysage, un tableau ou une musique. L’Art devrait être un hommage à la nature, de près ou de loin. On crée parce que c’est beau, en s’inspirant de ce que la nature déclenche en nous, et tout ce que l’on utilise pour créer nous vient de la nature. Ainsi, peu importe la raison de notre création, que ce soit pour la beauté ou pour dénoncer, on devrait tout de même avoir la nature comme première considération, même si elle ne fait pas parti de nos propos. Il y a quelque chose de très noble et pur à n’exister que pour sa beauté et sa capacité à émouvoir des foules. L’Art est une arme si puissante pour dénoncer, et pourtant, elle fait partie de ces machines qui détruisent la planète. Un Art qui ne respecte plus la nature est pour moi un art sali par notre société. Cela est un étrange paradoxe que de vouloir dénoncer des injustices avec une pièce de théâtre alors que des kilos de matériaux se retrouveront au dépotoir une fois la production finie. Une œuvre qui n’est pas faite avec la pleine conscience de son impact sur la nature, est une œuvre dénaturée, car elle a oublié sa source et ne rend plus hommage à son origine, la nature.
1 : p.115, Daignault-Leclerc, Léonie (2019). Pour une garde-robe responsable. Montréal : La presse, 208p.
2 : p.56, Daignault-Leclerc, Léonie (2019). Pour une garde-robe responsable. Montréal : La presse, 208p.
3 : Dumais, Éric (2020, février.). «Dans l’envers du décor»: Marie-Renée Bourget Harvey, scénographe sur le site Bible Urbaine. Consulté le 6 mai 2020. https://www.labibleurbaine.com/theatre/dans-lenvers-du-decor-marie-renee-bourget-harvey-scenographe/